Culture, Histoire
Malraux et Berberova, deux écrivains emblématiques de Boulogne-Billancourt
Publié le
Juin 1945. Une vague de chaleur sans précédent harasse la France. Un soleil de plomb inonde de lumière la double verrière de l’hôtel particulier du 19 bis avenue Victor-Hugo (aujourd’hui avenue Robert-Schuman). Dans le salon du 1er étage à la hauteur sous plafond démesurée, un couple se fraye un chemin entre les malles qui viennent d’arriver. Il s’agit d’André Malraux et de Madeleine, la veuve de son frère Roland, mort en déportation. À leurs côtés, Alain, le fils de Madeleine, né l’année précédente, et Vincent, le fils cadet d’André, qui joue à l’ombre des marronniers. Ils seront bientôt rejoints par Gauthier, le fils aîné de Malraux. Dans ce havre dont ils louent les deux étages supérieurs, la famille se recompose – André épousera Madeleine en 1948 – et se reconstruit après les difficiles temps de guerre. Pendant quinze années, la famille Malraux connaîtra les joies d’une vie tranquille, mais aussi des drames. En 1961, les deux fils d’André Malraux meurent dans un accident de voiture et, l’année suivante, une bombe au plastic posée sur le rebord de la fenêtre blesse gravement la fille des propriétaires. La famille Malraux sera contrainte de quitter Boulogne.
Malraux et sa méditation sur l'art
Dans cette bâtisse boulonnaise à laquelle il trouvait quelque chose de "hollandais", André Malraux aura disposé du calme propice à l’écriture. Il y donnera forme à sa méditation sur l’art : 3 volumes de La Psychologie de l’art, une étude sur Goya intitulée Saturne, et Le Musée imaginaire, pour lequel il choisit les illustrations en les alignant à même le sol du salon. Sans doute repense-t-il alors aux "beaux dimanches de Boulogne" auxquels il était convié, vingt-cinq ans auparavant, par le marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler et son épouse Lucie, qui recevaient dans leur propriété du n°12 de la rue de la Mairie (actuelle rue de l’Ancienne-Mairie) de nombreux artistes tels que Juan Gris ou Pablo Picasso. Malraux y croisait souvent Michel Leiris, l'un des habitués qui, après avoir entamé des études de chimie, s’était tourné vers l’art et l’écriture. Fréquentant les surréalistes à partir de 1918, il sera par la suite considéré par beaucoup comme l’un des plus grands prosateurs du XXe siècle. Dans son journal, il évoquera, bien des années plus tard, les bombardements qui frappèrent la ville le 3 mars 1942 et témoignera de ce sentiment de vulnérabilité d’une maison qui n’est plus un sanctuaire où l’on est protégé mais "une chose fragile prête à s’écrouler au moindre souffle".
Les figures de l'exil de Nina Berberova
À la même époque que les "dimanches de Boulogne", vers 1925, une jeune immigrée russe parcourt les rues de Billancourt. Nina Berberova, après avoir fui la Russie, est passée par Berlin et Sorrente avant de s’installer à Paris avec son mari, le poète Vladislav Khodassevitch. Tous deux sont désœuvrés : leur statut d’apatrides ne leur donne pas le droit de travailler comme salariés, ni comme ouvriers. Nina gagne de quoi subsister en effectuant de petits travaux de couture ou en fabriquant des colliers. Bientôt, le couple s’établit à Billancourt, rue des Quatre-Cheminées, où Nina observe le petit peuple russe de l’immigration, aggloméré autour des usines Renault. Dans ses Chroniques de Billancourt, qu’elle écrit entre 1928 et 1934 mais qui ne seront éditées en France que 68 ans plus tard, elle brosse le portrait de ces figures de l’exil. En 1932, le couple se sépare : lui reste rue des Quatre-Cheminées et meurt en 1939, inhumé au cimetière Pierre-Grenier, non loin de son compatriote le grand philosophe Léon Chestov, qui vécut au 19, rue Alfred-Laurant. Nina quitte Billancourt et, après la guerre, part pour les États-Unis, où elle mourra en 1993.
Les écrivains qui ont, pour des périodes plus ou moins brèves, séjourné à Boulogne-Billancourt, se sont nourris du dynamisme culturel, architectural et artistique de notre ville, tout autant qu’ils en ont été les inspirateurs. Mais ils sont aussi les témoins de son histoire et, par leurs œuvres, font rayonner le nom de Boulogne-Billancourt.