Paroles de boulonnais
Mer, montagne, lutte contre la pollution plastique, les défis d’Éric Loizeau
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Comme Cadet Rousselle, Éric Loizeau a au moins trois maisons : la mer (dans le Finistère, où il est né en octobre 1949), la montagne, son autre amour, et Boulogne-Billancourt, où il est installé depuis 1984. Autant dire qu’il est conseillé d’attraper au vol l’infatigable voyageur. On peut certes, parfois, apercevoir le personnage discret aller chercher ses… petits-enfants à l’école Dupanloup, là-même où il scolarisa ses propres garçons (l’un d’eux habite toujours la ville). Ou bien encore, chaussures de sport aux pieds, le voir partir faire son footing au bois, quand il ne prend pas un pot en bord de Seine sur le bateau de son ami le journaliste Laurent Bignolas.
Skipper de l'année en 1978
Quatre ans durant, il installa même ses bureaux au premier étage du Parc des Princes. "J’ai la chance de vivre dans un cadre privilégié, arboré, entouré de maisons à la superbe architecture, convient-il. Vous avez un rendez-vous business, vous passez le périph’ et vous êtes en province, c’est très étrange. Je suis vraiment content d’être là." Heureux clin d’œil du destin, Loizeau le maritime a jeté l’ancre rue du Pavillon, où il peaufine un ouvrage à sortir chez Gallimard sur l’Arkea Ultime Challenge, tour du monde en solitaire des "géants de la mer", qui partira de Brest le 7 janvier. Car n’oublions pas qu’Éric Loizeau, surnommé "le Captain", meilleur skipper de l’année en 1978, champion du monde des multicoques en 1986, fait partie des très grands noms de la course au large. Et ne se fait pas prier pour évoquer le "patron", Éric Tabarly, dont il est toujours resté proche jusqu’à sa disparition, en juin 1998. "Je l’ai connu à 19 ans. Je naviguais déjà. Lors d’une régate en Angleterre, j’ai porté réclamation contre une de ses manœuvres sur Pen Duick III. Je me revois au yacht club, moi, un gamin, réclamant face à Tabarly, et ça l’avait bien fait marrer !"
Dans les années 70, Loizeau, qui effectue son service militaire au bataillon de Joinville, est recruté par le même Tabarly en tant qu’équipier sur Pen Duick VI. Il restera quatre ans avec le boss. "Sur les Pen Duick, on devait savoir tout faire, se souvient-il. Éric était une mine de connaissances, un vrai guide de la manœuvre. Si vous alliez vers lui, que vous le questionniez, il était très partageur."
Devenu un skipper renommé, il s’inspirera de son exemple pour les courses en équipage, dont la Whitbread, mythique course autour du monde (1977-78). Un fabuleux souvenir, avec le gain de deux étapes dont celles du cap Horn, mais aussi un sale moment, avec une perte de gouvernail dans l’océan Indien entraînant un insurmontable retard. Et, un beau jour, s’il ne change pas de ville, le vainqueur de la Route du Rhum 1982 décide de changer de vie. Loizeau s’envole vers les montagnes, où il compte déjà de solides amitiés.
"Marins et alpinistes évoluent dans un milieu naturel parfois hostile, soumis à des aléas météorologiques qu’il faut comprendre et accepter, explique-t-il. Humilité, force mentale et esprit de cordée comptent parmi nos points communs."
En mai 2003, c’est l’exploit ultime. Il gravit l’Everest, y laisse quelques phalanges. Sur les 25 grimpeurs de cette expédition, une dizaine manquent à l’appel vingt ans plus tard.
"La montagne est beaucoup plus dangereuse que la mer, où le vrai risque est certes de tomber à l’eau, et en solitaire, c’est définitif, poursuit-il. Mais, à l’issue d’une transat, la ligne d’arrivée franchie, tu es à l’hôtel. Arrivé au sommet de l’Everest, l’objectif est d’abord de redescendre vivant au camp de base."
Pas un hasard donc si le Captain initia, en 1994, le trophée Mer Montagne, compétition regroupant gens de mer, de neige et de nombreux jeunes des stations alpines. La 29e édition se tiendra fin janvier à l’Alpe-d’Huez.
Des micro-particules de plastique au coeur des océans
Et là, au contact des jeunes, l’occasion est belle de mettre en avant la protection de l’environnement, thématique vitale, son cheval de bataille depuis le début des années 2000. On le retrouve ainsi ambassadeur de la fondation suisse Race for Water, sillonnant les océans avec un trimaran de 70 pieds, pour prélever et analyser la qualité des eaux. Et les constats, même très loin des côtes, sont édifiants : il existe des micro-particules quasiment partout. Et de poursuivre la même quête sous d’autres latitudes avec l’organisation kényane Flipflopi, aux abords du lac Victoria en Afrique centrale, ou près de l’archipel de Lomu, dans l’océan Indien.
"Il est primordial de lutter contre la prolifération des déchets plastiques, lance le marin. Mais nous avons parfois l’impression de jouer les Don Quichotte car la balle est d’abord dans le camp des États, des gouvernements, des industriels et ce, au niveau mondial." Disposé à intervenir dans les écoles, il l’a fait à Dupanloup, Loizeau n’est pas du genre à désespérer : "La jeune génération se préoccupe vraiment des questions liées à l’environnement, c’est un réel progrès, mais on ne changera pas les choses d’un coup de baguette magique."