Paroles de boulonnais
Evelyne Aïello, Maestra
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Elle est d’origine sicilienne, ce qui explique sûrement son entrain, ses rires en cascade et son goût pour les opéras. Evelyne Aïello est musicienne et, par ce mot-là, invoque son appartenance à un univers sans frontières. Même si on l’attrape entre deux voyages, elle raconte néanmoins son attachement à Boulogne-Billancourt, où elle travaille depuis trente-cinq ans comme professeur au conservatoire. "Mes élèves sont parfois les enfants de mes anciens élèves", dit-elle en s’en réjouissant. En l’écoutant évoquer son travail auprès des classes Cham de l’école Billancourt, on comprend que, pour elle, la transmission est d’abord une mission, et un bonheur renouvelé. "Je suis responsable du cours d’orchestre des enfants à partir du CM1. Ils sont près de 60, qu’il faut faire jouer ensemble. C’est une grande aventure ! À la fin de l’année, il y a un concert, qui paraît souvent improbable. Eh bien, le miracle se produit toujours", explique-t-elle. C’est ce même mélange de bienveillance et de fermeté qui lui permet de faire jouer en harmonie avec succès des enfants débutants comme des orchestres de professionnels.
Entrée toute jeune, après une formation à Clermont-Ferrand, au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, elle remporte un premier prix de direction d’orchestre et un premier prix d’analyse. La même année, elle est nommée lauréate de la Fondation Yehudi-Menuhin. Un brillant parcours "classique" ? Peut-être, mais elle ne s’y arrête pas. C’est à peine si elle raconte, avec humour, qu’à sa sortie du conservatoire, elle s’est retrouvée propulsée à la direction de l’orchestre de la Garde républicaine pour jouer devant le président de la République, François Mitterrand à l’époque. La confiance d’Alain Louvier, alors directeur, a beaucoup compté quand il l’engage au conservatoire comme professeur de formation musicale en 1985.
Des renoncements, il y en eut. Elle les balaie sans regrets : ses priorités ont été "d’être présente auprès de mes quatre filles, on ne se refait pas, je suis un brin mamma italienne ! Et, bien entendu, de continuer d’avoir des engagements ponctuels hors périodes scolaires." La musique est un monde qui vibre, le bouche-à-oreille y fonctionne à merveille, Evelyne Aïello est régulièrement chef invitée aux États-Unis, au Qatar, en Hongrie… L’été prochain, la "maestra" dirigera à New York les jeunes d’un stage pour orchestre à cordes au cours d’un prestigieux festival, et se réjouit d’y diriger l’Adagio de Barber qu’elle affectionne particulièrement.
Une question vient, évidemment : a-t-elle des préférences musicales ? Quelques secondes de réflexion, et elle répond : "La musique est comme un parfum. À un moment de votre vie, vous en aimez un intensément. Puis, quelques années plus tard, ce sera un autre, qui correspond mieux au moment. Si je suis déstabilisée, je vais écouter du Bach, c’est le centrage. La joie va me mener vers la musique romantique. Mais, en fait, mes goûts ne comptent pas. Je suis un relais entre le compositeur, ceux qui jouent et ceux qui écoutent. Mon rôle est de donner envie à 50 ou 80 personnes de faire la même chose en même temps." On y revient. Evelyne Aïello, la passeuse d’art, repart vers l’école Billancourt retrouver ses classes, dans lesquelles il y a, peut-être, de futurs virtuoses. "Ou pas, mais la pratique de la musique est pour les enfants un capital pour la vie", affirme-t-elle.
Elle fera un détour par l’hôpital Ambroise-Paré, où elle donne bénévolement des cours à des ados en long séjour. Et se fera un plaisir d’arpenter les rues de sa ville, de ces quartiers qu’elle a vu jaillir, de cette île qui se construit une vocation artistique. Elle fréquente La Seine Musicale, où la programmation satisfait son éclectisme musical et la porte, entre autres, vers l’Afrique et l’Amérique du Sud. C’est d’ailleurs un programme très caliente de musiques sudaméricaines que donnera, le 18 mars, l’orchestre Arcana, fondé sous sa direction il y a cinq ans, constitué d’amateurs de tous âges et de tous niveaux. "Une grande famille", dit-elle. Et au milieu de ce tourbillon, il y aura des silences, comme sur une partition, un besoin de "page blanche sur laquelle poser la musique".
Christiane Degrain