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Lionel Duroy au Salon du Livre 2023
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Lionel Duroy sera en dédicace à l'hôtel de ville samedi 9 et dimanche 10 décembre, et en rencontre dimanche à 15h dans les Salons d’honneur
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Journaliste, Adèle Codreanu ne s’est jamais intéressée au pays que ses parents ont fui avant sa naissance. Au hasard d’un reportage à Bucarest, elle découvre que les Roumains ont exterminé 400.000 juifs pendant la guerre. Partout, malgré les traces qui subsistent, les témoignages qu’elle rassemble, elle se heurte à l’incrédulité des Roumains. Pour eux, cet holocauste n’a jamais existé. Pourquoi tout le monde s’obstine à le nier ? C’est inacceptable. Elle va l’écrire. Elle va le crier. Lionel Duroy est l’auteur de plus d’une vingtaine de romans dont Le Chagrin (prix François-Mauriac, prix Marcel-Pagnol), L’Hiver des hommes (prix Renaudot des Lycéens et prix Joseph-Kessel), Eugenia (prix Anaïs-Nin).
Après Eugenia, vous voici de retour en Roumanie. Quelles sont vos attaches avec ce pays ?
Ma curiosité pour la Roumanie remonte à mes premiers voyages, à 20 ans, de l’autre côté du "rideau de fer" - ainsi appelait-on le mur qui coupait l’Europe en deux : à l’Est le monde communiste, à l’Ouest le monde capitaliste. A l’Est, Auschwitz, Stalingrad, des événements indicibles dont nous prenions conscience très lentement, et notre étonnement, mon étonnement devant la grande pauvreté des "pays de l’Est", comme si ces gens silencieux, tristement vêtus, étaient punis. Et d’ailleurs nous venions chez eux, mais eux n’avaient pas le droit de venir chez nous – quelle faute devaient-ils expier ? La lecture du somptueux Kaputt, de Curzio Malaparte, seul roman à évoquer largement le pogrom de Iasi tout en évoquant avec sympathie le peuple roumain, m’a ramené en Roumanie. J’ai très vite aimé ces gens qui semblaient sortir groggy de quatre décennies de communisme, complètement ignorants de leur propre histoire. Ils n’avaient pas eu accès aux livres que j’avais lus, mais ils étaient désireux d’en parler, de comprendre. Les Roumains m’ont accueilli et je n’ai plus cessé d’y retourner. De chez eux j’ai découvert la Moldavie, puis l’Ukraine. Toute l’Histoire reste à réveiller et à écrire dans ces pays, plus j’avance plus ils me touchent et me passionnent.
Votre héroïne, Adèle Codreanu, bien que d’origine roumaine, ne connaît pas le pays de ses parents. Elle est libre, effrontée, en colère. Qu’est-ce qui la fait avancer ?
La colère. Et elle a de quoi être en colère : immigrée en France, fille unique de parents roumains pauvres et apeurés dont elle a honte, elle n’est pas bien dans sa peau, joue de sa beauté pour manipuler les hommes et ne se voit pas d’avenir. Jusqu’au jour où son journal (elle est journaliste) l’envoie en Roumanie car elle est la seule de sa rédaction à parler le roumain. Elle pense que la Roumanie est à l’image de ses parents et elle y part à reculons. C’est pourtant dans ce pays que sa colère va trouver un exutoire à travers ce qu’elle va y découvrir, de ses origines en particulier. Je ne suis pas loin de penser qu’elle se sauve en se laissant petit à petit adopter par le pays de ses parents.
Adèle va, étape après étape, découvrir l’indicible : elle va soulever le voile sur un fait mal connu de la Seconde guerre mondiale, le massacre de 400.000 juifs par l’armée roumaine en 1941. Pourquoi ce silence, cette amnésie de tout un peuple ?
L’amnésie des Roumains est le résultat de quarante années de communisme durant lesquelles il était défendu d’évoquer le sort des Juifs pendant la guerre. Pour le régime communiste, profondément antisémite, ce n’étaient pas des Juifs qui avaient été massacrés, mais des "citoyens soviétiques". Prononcer seulement le nom de "juif" pouvait vous valoir de graves ennuis. Il faut ajouter à cela qu’au contraire de l’Allemagne qui a eu le procès de Nuremberg au terme duquel les dignitaires nazis ont été condamnés à mort et exécutés, la Roumanie, embarquée contre sa volonté dans le communisme, n’a pas jugé les responsables du génocide commis par son armée. Les atrocités ont été attribuées à l’Allemagne et l’histoire du génocide roumain n’a pas été écrite.
Se confronter à l’histoire de son pays va changer Adèle. Quelle est la place de cette quête des origines pour vous ?
La quête des origines, c’est ce qui m’a poussé à écrire dès l’âge de 20 ans. Priez pour nous, mon premier roman publié, raconte le regard d’un enfant sur des parents qui s’effondrent et tente de dire les raisons de cet effondrement. Vingt ans plus tard, j’y réussirai mieux dans Le Chagrin, qui s’efforce de remonter à l’origine de la misère matérielle et intellectuelle de mes parents. Nous ne venons pas de nulle part, et il me semble qu’une des conditions essentielles pour commencer à jouir de la vie est de bien connaître ce qui nous leste, cet obscur bagage que nous ont légué les générations précédentes. J’ai la conviction qu’Adèle ira beaucoup mieux quand elle aura découvert et accepté d’endosser l’histoire secrète de ses origines.
Lionel Duroy sera en dédicace à l'hôtel de ville samedi 9 et dimanche 10 décembre, et en rencontre dimanche à 15h dans les Salons d’honneur
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