Paroles de boulonnais
Emmanuel Booz, un poète dans la ville
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C’est à Boulogne-Billancourt que le rocker et poète Emmanuel Booz a grandi après la guerre. Il continue d’y écrire ses poèmes, vivant comme il a toujours vécu, entre cafés et jardins. Portrait d’un drôle d’aventurier que les Boulonnais d’hier et d’aujourd’hui ont forcément croisé un jour, au coin d’une rue…
Vous me reconnaîtrez !
Dans le café où il nous a donné rendez-vous, Emmanuel Booz ne passe pas inaperçu avec sa chevelure blanche qui lui donne un air de Johnny Winter, le guitariste albinos de rock américain. À bientôt 80 ans, habillé de noir, d’un tempérament chaleureux, il a gardé l’allure du beatnick qu’il fut dans sa jeunesse. Devant un bon jus de pomme (il ne boit pas d’alcool), il nous raconte sa vie fleuve percutée par tout ce que le XXe siècle a brassé de tragédies et de renaissances, la guerre, la découverte d’Elvis Presley, la lecture du livre Sur la route de Jack Kerouac. Né en 1943 à Versailles, Emmanuel aura eu du monde une première vision terrifiante : la mitraillette d’un gestapiste venu fouiller la maison de son grand-père, à Vierzon. Ses parents maquisards parviennent à le sauver et le cachent dans la campagne. Le petit garçon y restera plusieurs années, élevé par des résistants, avant que sa mère et son père, un jour de 1948, décident de le récupérer et l’emmènent à BoulogneBillancourt, où ils pansent leurs douloureux souvenirs. Emmanuel a 5 ans. S’il retourne souvent voir sa famille adoptive, il découvre le joli square des Longs-Prés, les terrains vagues, l’école maternelle de la rue Thiers. Il grandit entre les belles amitiés et les parties de football au sein de l’ACBB : "On avait un beau terrain sur les quais de la Seine." Sa bande d’amis et lui dansent dans la salle des fêtes, écument les cafés de la place Marcel-Sembat. Emmanuel retrouve son père qui mène des chantiers un peu partout sur la planète et prend goût au nomadisme.
COSMIQUE ET ATOMIQUE
On le croise, par exemple, à New York en 1965, flanqué de sa guitare et de ses poèmes. Plus tard, il enregistre un disque avec Arlo Guthrie, (fils de l’icône de la folk song Woody Guthrie), lui-même artiste culte depuis sa prestation au festival de Woodstock. "Qui étais-je pour cette star? Un franchouillard avec sa guitare, et pourtant, il me propose une collaboration." Ce sera l’adaptation française, en 1969, du fameux disque d’Arlo, Alice’s Restaurant, dont les chants illustrent le film libertaire d’Arthur Penn. Emmanuel publie trois autres albums, Le jour où les vaches (1974), Clochard (1976) et Dans quel état j’erre (1979) accompagné du regretté violoniste Didier Lockwood. Ses compositions, riches de jeux de mots drôlatiques passés dans le langage courant (« à l’aise, Blaise »), navigue entre psychédélisme rageur et imprécations rappelant Léo Ferré, qui lui propose de faire sa première partie. Mais le (sic) "poète cosmique atomique du rock français", comme l’écrira Philippe Manœuvre, ne rassure guère les producteurs déconcertés devant un être aussi inclassable.
DIFFICILE DE FAIRE 100 MÈTRES SANS UN « SALUT MANU ! »
Il disparaît, laissant son nom ici ou là, resurgit au générique du thriller américain La Mémoire dans la peau. "J’assurais la sécurité sur le film. Ils avaient besoin d’un chauffeur de taxi, et c’est la star Matt Damon qui leur a suggéré de me prendre. Il m’avait repéré. Mon look l’amusait." Il collabore à de nombreux scénarios, dont celui de Camping, la comédie à succès de Fabien Onteniente avec Franck Dubosc, tout cela en dormant parfois à la belle étoile, sans lien terrestre, sinon celui qui l’unit viscéralement à Boulogne-Billancourt, où il revient toujours, les poches remplies de poèmes et de notes de guitare.
Cette ville est la matrice de mon existence. Je me rends sur l’île Seguin pour écrire des poèmes. Je me promène dans Boulogne-Billancourt avec un plaisir toujours renouvelé. J’ai confiance. Les gens ici sont tellement gentils. Dans ce café, on m’a offert un pain au chocolat.
Pendant ses déambulations, difficile d’échapper à un "Salut Manu !". De jolies passantes, aussi, le saluent. "C’est une chance, sourit-il. À 80 ans, je plais encore aux femmes." Il aime musarder dans les rues Diaz, Reinhardt et Fernand-Pelloutier: "Bingo, d’un seul coup, je me retrouve en 1950. Tu vois la grande maison blanche ? Si je gagne au loto, je la rachète et j’y mets tous mes potes, enfin, ceux qui sont encore en vie…"