Dominique de Saint-Pern © Isabelle Nori

Culture

Salon du Livre : Dominique de Saint-Pern, la tumultueuse jeunesse d’Edmonde Charles-Roux

Dans un roman fresque qui commence, pour ce premier tome, en 1938, Dominique de Saint-Pern retrace la tumultueuse jeunesse d’Edmonde Charles-Roux dans Edmonde (Stock). Femme libre qui défie les lois de son genre, de son milieu et même de la guerre, elle se construit un destin inouï sous les bombes et dans les officines du pouvoir. Captivant !

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Retrouvez Dominique de Saint-Pern samedi 7 décembre (en rencontre "Destinées de femmes d’exceptionà 18h à l'amphithéâtre Landowski, avec Brigitte Benkemoun, Diane Brasseur  et Irène Frain)  et dimanche 8 décembre au Salon du Livre de Boulogne-Billancourt.

Salon du Livre de Boulogne-Billancourt : Comment avez-vous « rencontré » Edmonde Charles-Roux ?

Dominique de Saint-Pern : Dans les années 1990, j’ai eu l’occasion de la croiser à diverses reprises au cours d’événements parisiens, mais de loin. À cette époque, l’écrivain Pierre Combescot, qui était l’un de ses proches, m’avait proposé d’écrire un livre sur elle. Il connaissait certains de ses secrets. Mais j’avais refusé : l’image d’Edmonde Charles-Roux, sa mise de grande bourgeoise ne m’inspiraient pas, j’avais peur de m’ennuyer. Quelle erreur ! Une vingtaine d’années plus tard, c’est mon éditeur Manuel Carcassonne qui a remis le sujet sur le tapis. Là, je me suis dit : « Deux personnes douées d’un sacré sens du romanesque te proposent de t’intéresser à cette femme qu’ils ont connue... ne passe pas à côté de cette chance !  ». J’ai donc accepté.

J’ai aussitôt voulu rencontrer Edmonde Charles-Roux. Elle résidait alors dans une maison de retraite, veillée par ses amis, à Marseille. Hélas, son esprit n’était plus aussi présent, ses forces s’envolaient déjà. Elle est morte deux mois plus tard, le 20 janvier 2016, à 96 ans. Néanmoins, en une heure à peine, j’ai pu entrevoir le tempérament et les mille visages qui avaient été les siens.

SDLBB : À propos d’ Edmonde, on parle de roman biographique, cela vous convient-il ?

D.S-P. : Tout à fait, puisque tous les éléments sont véridiques, ils sont le fruit de longues recherches et de vérifications minutieuses. Edmonde est cependant un roman dans la mesure où, contrairement au biographe classique, je ne me place pas en surplomb des personnages et des événements mais, au contraire, je m’introduis dans leur pensées, dans leurs émotions, je cherche leur vérité et comble les « blancs » laissés par les multiples documents et  témoignages. Il s’agit de plier la réalité aux lois de la fiction et de l’enquête journalistique. Donc « roman biographique » ou « roman vrai », d’accord - en revanche le terme « biographie romancée » me donne l’idée d’affabulation. Mais peut-être est-ce subjectif.

SDLBB : Quelles ont été vos sources ?

D.S-P. : Je crois qu’il existe un dieu pour les biographes ! Quatre ans avant son décès, sans le dire à quiconque, Edmonde Charles-Roux a remis aux Archives municipales de Marseille un lot de plusieurs centaines de lettres reçues par sa mère, Sabine. Elles couvrent presque un siècle de l’histoire de l’Europe, puisque Edmonde est née dans une famille de diplomates. Mon cœur a presque lâché quand j’ai découvert la correspondance que s’échangeaient les Charles-Roux pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les secrets que les membres de cette famille ont soigneusement cachés – d’ailleurs Edmonde s’est toujours refusée à les évoquer dans ses romans - y sont révélés, plus ou moins limpidement. Le premier amour d’Edmonde, jeune prince italien assassiné dans les troupes de Mussolini... elle a 18 ans. Les amours de sa sœur, Cyprienne, avec le gendre de Mussolini et son mariage avec un hiérarque fasciste italien... L’entrée d’Edmonde dans l’univers du renseignement (elle va travailler pour l’ancêtre de la C.I.A.) quand son père se laisse aller aux tentations maréchalistes et que son frère rejoint les troupes de la France libre... Une famille écartelée par ses convictions ou ses passions, qui restera soudée par la seule volonté de la jeune Edmonde. J’ai été la première à les consulter, une chance inouïe !  

SDLBB : Vous parlez d’elle comme d’une femme solaire. Quelle femme était-elle ?

D.S-P. : Sol y sombra. Très méditerranéenne. Lumineuse en public et douée d’une force vitale hors du commun. En même temps secrète, profondément secrète. Au long de sa vie, ne parler à quiconque de cette blessure atroce qu’a été la mort de Camillo, qu’elle devait épouser, de cette souffrance qui a marqué ses débuts dans l’existence : il faut une belle force de caractère, non ? Ou encore porter et écrire pendant six ans, sans que personne le sache, un premier roman, Oublier Palerme, qui lui vaudra le prix Goncourt : cela dénote une certaine volupté à dissimuler, je crois…

SDLBB : Commencé en 1938, le récit s’arrête en 1945. Le monde a basculé, elle s’est métamorphosée. La guerre l’a-t-elle révélée ?

D.S-P. : Elle a toujours dit «  La guerre m’a faite » : c’est vrai. Petite fille, elle a grandi dans des palais praguois puis romains, entourée de chambellans, servie par des femmes de chambres, gardée par des nurses anglaises. Elle a été éduquée, voire dressée comme une pouliche de concours pour épouser un des grands de ce monde et poursuivre une vie de luxe un peu vaine. Patatras : la guerre arrive. Du jour au lendemain, la voilà quasiment veuve, puis jetée sur le front de l’Est à soigner des légionnaires, à mettre sa vie en danger, à donner des ordres, à se rebeller contre sa famille, à découvrir les ressources insoupçonnables de la nature humaine et, aussi, le pouvoir libérateur de la sexualité… Alors, oui, la jeune femme qui va émerger de la guerre en 1945 refusera de rentrer à la niche.

SDLBB : Y aurait-il une suite… et quand ?

D.S-P. : J’y travaille. À la Libération, Edmonde révélera d’autres facettes d’elle-même. La seconde partie de sa vie est tout aussi invraisemblable que la première ! Il existe des êtres qui n’envisagent pas la vie autrement qu’aux premières loges de l’Histoire en train de se faire. C’est son cas. Elle est toujours là où il faut être. Vogue, qu’elle fera évoluer vers la modernité ; le monde littéraire et l’Académie Goncourt ; la politique aux côtés de Gaston Defferre... elle règnera alors sur Marseille comme elle aurait pu régner sur la vie culturelle romaine si le prince Camillo n’avait été tué. Et cette image d’elle, les pieds dans la boue, chignon sous la pluie, chaque année, à la Fête de l’Humanité ou à La Commémoration de Camerone, auprès de ses compagnons de la Légion étrangère... Il eût fallu un tsunami pour qu’elle rate ça ! Edmonde Charles-Roux mélangeait tous les mondes, les portait en elle avec naturel. Ça, c’est le plus fascinant. Tout comme son goût immodéré du pouvoir. Ce second et dernier tome devrait sortir d’ici un an.

Propos recueillis par Christiane Degrain

Dominique de Saint-Pern a reçu pour Edmonde le Grand prix de l'héroïne Madame Figaro (catégorie document/biographie) 2019 et le Prix Simone-Veil 2019.